Dominant la ville de Saint-Céré, le château de Saint-Laurent-les-Tours dresse ses tours et ses remparts vers le ciel. Les Tours sont les vestiges d'un ancien château fort bâti sur une haute colline dominant Saint-Céré et très probablement occupée par les Romains au temps de la Guerre des Gaules. Durant huit siècles, le château appartint à la famille des Turenne qui en fit la deuxième forteresse de sa vicomté puis le château connût plusieurs propriétaires avant que Jean Lurçat n'en fasse l'acquisition sur un coup de foudre.
Dès 1941, Jean Lurçat est Lotois, participant activement à la lutte clandestine pour la liberté, ce sera son premier contact avec les Tours et le coup de foudre immédiat " Nom de Dieu ! Je veux crever si un jour c'est pas à moi". Il y lancera chaque soir des appels éloquents à la résistance et réalisera son rêve en 1945.
Le 26 avril 1988, le Ministère de la Culture, complétant un premier classement antérieur, a définitivement classé monument historique « l'ensemble des Tours, le château et ses éléments de décor ».
Un lieu inspiré
Ce lieu étrange et austère, propice à la réflexion, deviendra pour l'artiste son déambulatoire, son champ de création et, comme il le reconnaîtra lui-même, un superbe instrument à la mesure de sa démesure : Il nourrira la plupart de ses œuvres emblématiques, telles « le Chant du monde » conservé à Angers, ou « la Tapisserie de l'apocalypse » de l'église d'Assy.
Jean Lurçat vivra dans son château jusqu'à sa mort en 1966, partageant son temps entre Paris et le Lot. Il nouera avec le lieu des relations sensibles. L'ensemble des pièces est imprégné de sa présence, des plantes volubiles montent à l'assaut de la cheminée du salon, plafonds et poutres se couvrent d'étoiles, de soleils, de lunes et de sarabandes colorées où se croisent animaux et personnages fabuleux tout droit sortis de l'imagination foisonnante de Lurçat. Son talent, son imagination, sa fantaisie éclate dans toute la maison, chaque pièce, chaque poutre, chaque pierre garde encore trace de la main de l'artiste.
La personnalité des lieux et l'atmosphère de chaleur humaine qui ont ainsi été préservées entraînent le visiteur dans l'intimité du créateur.
Le 26 avril 1988, le Ministère de la Culture, complétant un premier classement antérieur, a définitivement classé monument historique « l'ensemble des Tours, le château et ses éléments de décor ».
Un atelier d'artiste
Avec son architecture, le lieu offre des surfaces de choix Jean Lurçat pour qui la tapisserie se doit d'être un véritable décor mural. Lurçat a souvent joué sur cette notion de monumentalité avec des pièces dépassant 10 m de long particulièrement dans les œuvres où il voulait développer des messages.
Dans la grande salle, dite Salle des Gardes, et dans le « petit atelier », il recouvre un pan de mur d'une immense plaque de contreplaqué où il peut fixer ses cartons et travailler avec ses assistants en dimension réelle. Des annotations sur le bois, des traces de peinture témoignent de son activité créatrice.
Renouant par ailleurs avec la tradition des ateliers des grands peintres de la Renaissance, il accueille et rassemble autour de lui aux Tours Saint-Laurent les jeunes artistes qui souhaitent s'initier au travail de la tapisserie. Chacun, sous la direction et l'œil aiguisé du maître, apporte sa contribution artistique.
Un musée
En 1986, Madame Simone Lurçat, veuve de l'artiste, a confié les lieux au Conseil général du Lot pour qu'il puisse, par la création d'un atelier-musée, continuer à faire vivre l'âme des lieux et l'œuvre de Jean Lurçat. Ouverte en 1988, la demeure atelier propose ainsi aux visiteurs un parcours particulièrement émouvant dans la vie et l'œuvre d'un créateur multiple qui se frotta avec succès à toutes les pratiques artistiques.
Le tapissier mondialement connu a en effet parfois éclipsé le grand peintre, proche dans ses recherches des courants cubiste, surréaliste ou expressionniste et considéré à l'époque comme l'un des espoirs de l'École de Paris aux côtés de Modigliani, Soutine... Dans les salles de l'atelier-musée une quinzaine d'œuvres essentielles permettent au visiteur la découverte sa peinture.
A l'image d'un Picasso se saisissant des arts décoratifs avec passion, Jean Lurçat a exploré toutes les formes de création : céramiques, tissus, papiers peints, bijoux, pièces de mobilier illustrent au musée sa vitalité artistique.
Jean Lurçat, le rénovateur de la tapisserie
Homme de conviction et d'engagement, Jean Lurçat est reconnu comme le grand artisan de la renaissance de la tapisserie au XXème siècle. Convaincu que c'est l'utilisation de la tapisserie en tant que copie d'un tableau qui a provoqué son déclin parce qu'elle s'était diluée dans un trop grand nombre de couleurs et une trop grande sophistication du dessin, il a compris très tôt la nécessité de faire exister une tapisserie par elle-même, pour ses "vertus, ses méthodes, ses échelles".
La tapisserie redevient avec lui création à part entière. Le sujet, la composition, le vocabulaire artistique, les couleurs, tout est imaginé et préparé par l'artiste en fonction des possibilités mais aussi des contraintes de la technique du tissage.
La technique du carton peint
Le carton peint soulève deux problématiques majeures. Il suppose en premier lieu un véritable défi pour l'artiste : que son talent de peintre s'efface devant son métier de tapissier c'est-à-dire qu'il n'utilise pas les ressources de la peinture (empâtement, touche, modelé, glacis, transparence...) qui ne pourront pas être rendues visuellement au tissage. Le carton doit être travaillé en fonction des possibilités de la laine ce qui implique notamment un dessin très précis et des couleurs parfaitement délimitées. Il donne par ailleurs une grande liberté d'interprétation au lissier dans la traduction des couleurs puisque c'est lui qui choisit la teinte qui lui paraît le mieux se rapprocher du modèle, or une simple modification de nuance peut modifier considérablement la composition.
Jean Lurçat va tenter l'expérience du carton peint mais déçu par le résultat tissé, il s'orientera vers la technique du carton numéroté.
La technique du carton numéroté ou des tons comptés
Jean Lurçat met au point sa propre gamme chromatique au travers d'un «chapelet» de 44 laines numérotées par couleur, chaque numéro correspondant à une teinte, ainsi les différentes teintes de jaune porteront un numéro de 1 à 5, celles de rouge de 6 à 10
Le carton est dessiné à grandeur d'exécution et les surfaces colorées sont indiquées par leur chiffre, cette technique demande à l'artiste un œil sûr pour juger de ce que sera la tapisserie une fois tissée. Parfois le carton est en partie gouaché par l'artiste afin d'affiner sa vision du résultat final.
Avec le carton numéroté, le lissier est ainsi soumis au choix de l'artiste et lui reste d'une fidélité absolue car il travaille à partir du même chapelet de laine.